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Introduction aux troubles dissociatifs de l’identité: mieux les comprendre, les diagnostiquer et les traiter
Martine Dubosson
septembre 2018

Atelier de perfectionnement ASPCo INTRODUCTION AUX TROUBLES DISSOCIATIFS DE L’IDENTITE Sabine Azarmsa et Olivier Piedfort-Marin
Genève, le 29 septembre 2018
Le mot de dissociation, évoqué dans de nombreux contextes en psychologie et en psychiatrie, ne fait pas toujours l'objet d'un consensus dans sa définition... d'où l'intérêt de cet atelier pour y voir un peu plus clair et se plonger dans une théorie actuelle très innovante : la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité de O. Van der Hart, E. Nijenhuis et K.Steele.
Plus précisément, cet atelier s'est organisé autour d'un exemple précis et extrême de dissociation : le trouble dissociatif de l'identité (TDI), son diagnostic et son traitement. Pour illustrer ces concepts ardus, deux vidéos de patientes issues de la pratique de Sabine Azarmsa et Olivier Piedfort-Marin ont permis au public présent de se faire une idée concrète de ce trouble et d'avoir un aperçu des techniques d'entretien proposées.
Les troubles dissociatifs dans leur ensemble (TDI, Autres Troubles Dissociatifs Spécifiés ou ATDS, fugue dissociative, amnésie dissociative, troubles dissociatifs somatoformes) représenteraient 5 à 17 % de la population psychiatrique. C'est dire s'il a dû nous arriver à tous d'en rencontrer dans nos pratiques... Plus précisément, 8,6 % de la population psychiatrique ambulatoire présenterait un TDI ou un ATDS. Toute la difficulté dans le diagnostic du TDI consiste à percevoir les différentes parties de la personnalité que le patient lui-même va ignorer à cause des troubles de la mémoire, de l’amnésie dissociative et de la phobie de son intériorité consécutive au traumatisme. Ce sont donc la plupart du temps seulement les séquelles du TDI qui sont diagnostiquées.
Pour O. Van der Hart, E. Nijenhuis et K.Steele, la notion de dissociation est à relier directement à une division de la conscience et de l’identité. Le terme trauma lui-même désigne des réalités variables : trauma simple, trauma complexe, TPST (Trouble de Stress Post Traumatique), trauma relationnel. Le TDI est clairement la conséquence d'abus graves subis par un enfant, précocement (avant 5 ans) et dans sa famille ; l’insécurité massive et chronique va affecter le développement de la personnalité. Ces abus consistent en des violences à répétition (multiples TPST) et des négligences affectives au long cours, un attachement désorganisé.
La théorie de la dissociation structurelle de la personnalité, qui fait l'objet d'un livre remarquable (Le soi hanté, O. Van der Hart, E. Nijenhuis et K.Steele), développe en détail la genèse traumatique de la dissociation. Le processus d'attachement insécure et désorganisé y est central. Cette théorie s'appuie sur les travaux de Pierre Janet, contemporain français de Freud, qui a décrit la dissociation comme un échec du processus d'intégration de l’évènement traumatique (manque de personnification : « c’est moi qui ai vécu tout cela et c’était terrible » et manque de présentification : « c’est fini. »). Ainsi, l’intégration du trauma en tant que souvenir est impossible. Il n'y pas d'intégration dans la mémoire autobiographique narrative (déclarative) et l’évènement reste bloqué dans la mémoire implicite sous forme de reviviscence. Pour revenir au développement précoce de l'enfant, il apparaît que la dissociation à un moment donné va être une issue à un conflit interne ingérable pour l’enfant entre l’activation conjointe de son système d'attachement et de son système de défense envers les figures d’attachement.
En effet, dans cet environnement hautement dysfonctionnel, les care-givers sont source à la fois de sécurité ET de danger. Pour résoudre ce conflit, l’identité de l’enfant va se diviser entre une partie qui fuit (système de défense) et une qui s’attache (système d’attachement et d’organisation du quotidien). Donc, une partie de l’enfant continue à grandir « comme si de rien n’était » et une autre va rester bloquée dans le traumatisme. De là naît une ambivalence que l'on retrouve à l'âge adulte sous la forme d'une fragmentation de la personnalité, avec une partie qui va fuir le lien de proximité et d’intimité et une autre qui va s'attacher. La partie restée dans le traumatisme et le passé est nommée Partie Emotionnelle de la personnalité (PE) et l'autre qui a oublié ce qui s’est passé Partie Apparemment Normale de la personnalité (PAN). Si la PE est clairement reliée au souvenir du traumatisme, la PAN a, elle, une fonction adaptative en permettant au sujet de faire face aux exigences de sa vie présente (travailler, se nourrir, faire une famille, interagir avec autrui...).
Dans une thérapie « classique », quelle que soit la méthode, si le thérapeute n’est pas « sensible » au diagnostic de TDI, c'est la PAN qui va se manifester et le thérapeute ne va travailler qu’avec la PAN. Quand les PE vont se manifester, le thérapeute non sensibilisé au TDI ne va pas, dans la plupart des cas, les repérer. Les PE peuvent se manifester sous forme d’intrusion dans la PAN (sensations, voix qui parlent ou se disputent, mouvements, etc..) ou sous forme de switch (la PE vient et la PAN part). Mais même en cas de switch, il n’est pas toujours facile d’identifier que c’est un TDI. Le (a) patient(e) peut tout à coup ne plus parler, sembler absente ou dire des choses incompréhensibles et le thérapeute risque de l’interpréter comme de la fatigue, des absences ou se tromper de diagnostic.
Les parties peuvent avoir leurs propres noms et âges. Ces différentes parties peuvent être hostiles entre elles, elles peuvent aussi s'entraider ou encore exprimer des points de vue différents sur la thérapie et le psychothérapeute. On parle de dissociation primaire (une PAN et une PE), secondaire (une PAN et plusieurs PE) ou tertiaire (plusieurs PAN et plusieurs PE) selon le nombre de parties impliquées. Ce qui caractérise le traitement avec un TDI, c’est le fait que le travail psychothérapeutique va se faire avec tout le système et non pas seulement avec la PAN.
La première phase du traitement consiste, comme tous les traitements de traumatismes, en une phase de stabilisation. Cette phase consiste à installer la sécurité. Installer la sécurité dans le monde extérieur (être en sécurité à la maison, au travail, ne plus être en contact avec les agresseurs, etc.). Installer la sécurité dans le système (entre les différentes parties) : diminuer la phobie des parties entre elles, de la PAN envers les PE et des PE entre elles (le thérapeute va s’intéresser aux parties et les inviter à s’exprimer si elles le désirent). Petit à petit, les parties, si elles sont d’accord, vont pouvoir communiquer et faire connaissance entre elles et avec la PAN, développer de l’empathie entre elles et se rapprocher. Installer la sécurité avec le thérapeute : faire en sorte que toutes les parties petit à petit se sentent en sécurité avec le thérapeute. Pour beaucoup de parties « jeunes », le thérapeute qui est un adulte représente un danger, comme les agresseurs (adultes) du passé. Le patient peut ainsi apprendre petit à petit à se sentir en sécurité dans l’engagement social (avec un autre être humain), ce qui est fondamental dans le traitement. Pendant cette phase, on ne parle pas ou très peu du passé mais on parle de ce qui se passe dans le présent, on regarde les liens entre les parties (si elles se connaissent, si elles « s’apprécient » ou non, etc.) leurs fonctions (à quoi elles servent, dans quel système d’action elles sont) et comment le système s’est construit et fonctionne (nombre de parties, quand et comment les parties sont apparues). Cette première phase peut prendre beaucoup de temps (plusieurs années).
La deuxième phase du traitement consiste dans le traitement des mémoires traumatiques. Au fur et à mesure que la sécurité augmente, les parties pourront raconter ce qu’elles ont vécu dans le passé et le partager avec les autres PE, la PAN et le thérapeute. Le travail est très lent et particulièrement respectueux des limites du patient. Il ne s'agit pas tant d'exposer à tout prix le sujet à ses traumatismes passés que de lui permettre de se les remémorer et de les résoudre dans un espace fondamentalement différent, dans lequel le psychothérapeute s'efforce de créer une expérience nouvelle et sécurisante. Une des difficultés du traitement est d'activer le patient suffisamment, mais sans excès (concept de la fenêtre de tolérance). C'est très progressivement qu'un récit des traumatismes pourra s'élaborer et être mis en lien avec les symptômes actuels qui peuvent être multiples, psychiques et somatoformes.
L'enjeu du traitement sera de permettre une intégration de ces différentes parties pour unifier l'identité et mettre fin aux troubles de la mémoire, à la dysrégulation émotionnelle et ses conséquences comportementales (abus de substances, troubles du comportement alimentaire, automutilation) et à la mauvaise estime de soi.
Une troisième partie du traitement, dite phase d'intégration, est une phase douloureuse de deuil et d’acceptation. Accepter ce qui a été et qui ne pourra être changé. S’adapter aux changements et pouvoir vivre davantage dans le moment présent.
Sabine Azarmsa et Olivier Piedfort-Marin ont sans doute longuement préparé leur atelier pour essayer de nous présenter au mieux, sur une seule journée, des concepts très innovants, incroyablement complexes, et des vignettes cliniques. De fait, l'alternance de théorie et de présentations cliniques était bienvenue; les vidéos étaient plutôt impressionnantes car on est vite happé par l'angoisse extrême de ces patients et la minutie que chaque intervention du psychothérapeute requiert. Cet atelier n'était qu'une introduction et il n'aura pu que nous inviter à être plus curieux sur ce sujet, voire à se former dans cette approche qui se définit avant tout par son champ d'application (la psychotraumatologie). Toutefois, une réflexion plus large se fait spontanément autour de notre patientèle habituelle, compte-tenu du fait qu'il nous est forcément arrivé de ne pas repérer un TDI, mais aussi que des états de dissociation moins sévères sont observables dans de nombreux diagnostics (troubles somatoformes, TSPT, troubles du comportement alimentaire, abus de substances, attaques de panique...). Ainsi, c'est toute la représentation que nous avons habituellement de nos patients qui peut être transformée et éclairée. Le lien avec d'autres approches comme la thérapie des schémas de Young ou encore la thérapie centrée sur les émotions est possible. Dans ma pratique, le simple fait de parler avec quelqu'un de peu dissocié de différentes parties à l'intérieur de lui (par ex pour un patient obèse qui se sent dans un état différent lorsqu'il fait une crise de boulimie) peut aider à mettre des mots sur des symptômes dont le patient a honte et qu'il ne comprend pas. Se dire qu'une partie de soi a besoin de « boulimer » pour se sentir mieux et essayer d'accepter cette partie honteuse sera soulageant. Petit-à-petit, des liens pourront se mettre en place avec les émotions du présent, puis du passé... des traumatismes relationnels d'une ampleur moindre que ceux dont nous avons parlé dans cet atelier pourront ainsi être compris différemment avec la théorie de la dissociation structurelle de la personnalité.
Il me semble que cette approche comble une grande lacune dans nos savoirs de psys et qu'il serait dommage d'en faire l'économie...

Des ouvrages pour approfondir le sujet :
- Le soi hanté, O. Van der Hart, E. Nijenhuis et K.Steele,
- La trinité du trauma, E. Nijenhuis,
- Gérer la dissociation d'origine traumatique, S. Boon, O. Van der Hart, et K.Steele.
Un organisme de formation : l'IRPT (Institut Romand de Psychotraumatologie).
Un grand merci à Sabine Azarmsa qui a accepté de relire et corriger cette présentation.
Fait par Martine DUBOSSON


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