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TROUBLES DE LA PERSONNALITE : LE MODE ENFANT VULNERABLE, Bernard PASCAL
Martine DUBOSSON
septembre 2017

TROUBLES DE LA PERSONNALITE : LE MODE ENFANT VULNERABLE
Bernard PASCAL
Genève, le 23 septembre 2017

Bernard Pascal, psychiatre grenoblois et traducteur en français du livre de J. Young et al. « La thérapie des schémas » est venu pour la 2ème fois à Genève présenter à l'ASPCO sa pratique de la thérapie des schémas selon Jeffrey Young.

Il était déjà venu en 2010 pour un premier atelier très intéressant, qui présentait de façon la plus exhaustive possible la conceptualisation des schémas précoces maladaptés de Young et cette notion originale de « mode ». J'en étais ressortie très stimulée intellectuellement, mais je dois l'avouer sans avoir bien compris réellement ce qu'était un mode. J'en avais conclu qu'il faudrait vraiment que je me forme spécifiquement à cette approche pour pouvoir l'utiliser, ce qui n'était pas faux.

L'idée d'approfondir lors de ce deuxième séminaire le mode « enfant vulnérable » m'a donc semblée pleine d'intérêt ; et je n'étais pas la seule à le penser vu la bonne fréquentation de cette journée.

La matinée fut riche de nourritures intellectuelles. Visiblement B. Pascal a beaucoup évolué dans l'intégration des concepts qu'il utilise et dans son approche pédagogique. La focalisation sur le mode « enfant vulnérable » était bienvenue compte-tenu de l'étendue du sujet. Cette fois-ci un lien très pertinent est fait avec la théorie de la dissociation selon Janet, qui expliquerait l'existence chez nos patients borderline (BL) d'un cloisonnement des différents modes (les personnes intéressées par la dissociation structurelle liront avec profit l'ouvrage de Nijenhuis et al, Le soi hanté). L'autre grand concept abondamment cité est celui de l'attachement insécure en éthologie humaine ; en particulier l'attachement désorganisé qui peut être repéré très tôt chez les enfants qui développeront par la suite une pathologie BL.

A travers des vignettes cliniques, B. Pascal nous présente les modes comme étant la porte d'entrée du psychothérapeute dans la pathologie BL, un même mode pouvant être relié à différents schémas. Le concept de mode rend compte de l'instabilité émotionnelle du patient BL et permet une thérapie focalisée sur cette instabilité. Un mode est un « Etat du moi » ou une facette de la personnalité. Il désigne à la fois un état émotionnel, un ou des schémas cognitifs et des stratégies comportementales de coping. Chez les personnes dites normales, les modes ne sont pas cloisonnés et le passage d'un mode à un autre se fait de façon fluide. Un mode est l'expression d'un ou de plusieurs schémas précoces maladaptés. Il existe cinq modes chez les personnes BL : le mode enfant vulnérable, le mode enfant en colère, le mode protecteur détaché, le mode parent punitif/exigeant et le mode adulte sain. Une description complète des différents schémas précoces et des modes décrits par J. Young est à découvrir ou redécouvrir dans son livre cité plus haut.

L'irruption brutale d'un mode de type « enfant vulnérable » ou encore « enfant en colère » signe la présence de souvenirs traumatiques accessibles à la conscience mais habituellement isolés du reste de la personnalité par la dissociation. Des événements actuels, plus ou moins anodins aux yeux d'observateurs extérieurs (ex : mes deux voisines ne m'ont pas parlé aujourd'hui), vont faire office de déclencheurs par leur similarité partielle d'avec des événements traumatiques infantiles et enclencher l'activation d'un ou plusieurs schémas précoces maladaptés (je ne peux pas être aimé ; je ne vaux rien), la mise en route d'un mode (l'enfant vulnérable anxieux et déprimé) et de certaines stratégies de coping (par ex mode auto-stimulateur détaché : shopping compusif). B. Pascal donne des explications neurologiques à cette dissociation excessive ; ainsi le cortex pré-frontal (« l'ordinateur de bord ») serait mal relié au système limbique (« cerveau émotionnel ») ; la thérapie va permettre d'établir une connexion entre ces deux entités.

La manifestation d'un mode chez la personne BL va être déroutante pour l'entourage du patient et pour lui-même ; le thérapeute, lui, va saisir cette opportunité pour faire des analyses fonctionnelles classiques en TCC (en partant de l'émotion), enrichies par la mise en évidence des schémas (souvent multiples chez les patients BL) et des stratégies mobilisés. Cette première étape va permettre de partager avec le patient un début de représentation graphique de son trouble dans une perspective psycho-éducative . S'ensuit dans un deuxième temps l'utilisation d'une technique originale quoique commune à l'EMDR, l'imagerie diagnostique, qui vise à faire découvrir au patient le lien entre événements actuels, réactions émotionnelles, stratégies et événements significatifs du passé. Le thérapeute commence par établir avec son patient « un lieu sûr » ou « lieu secret » en imagination ; puis à partir d'un événement récent le patient est invité à revoir la scène les yeux fermés en décrivant l'émotion ressentie dans son corps, émotion sur laquelle il doit rester centré. Puis, il doit rechercher dans le passé une image au cours de laquelle il a ressenti la même émotion (on encourage la recherche d'une image la plus ancienne possible). L'image est explorée, en recherchant les schémas et les stratégies activés. « Le thérapeute apprend à faire ressentir émotionnellement au patient son schéma » B. Pascal. La conceptualisation est discutée de manière didactique en réalisant un diagramme de conceptualisation au flip-shart.

Des techniques émotionnelles sont ensuite possible pour tenter de traiter la souffrance du patient. B. Pascal cite le reparentage, le travail des chaises, la thérapie sensori-motrice, l'EMDR et le brainspotting. Le reparentage ou « dialogues en imagerie sur le passé » a pour but « d'apprendre au patient à interagir avec les personnes responsables, par le passé, des schémas infantiles et celles responsables actuellement du maintien de ces schémas ». Il s'agit de partir des événements mis à jour dans l'imagerie diagnostique ; on va proposer à l'Enfant Vulnérable (aidé par le mode « Adulte sain » du thérapeute) de s'affirmer face au Parent Dysfonctionnel ; d'exprimer son sentiment de manque car ses besoins affectifs fondamentaux n'ont pas été respectés. La peine et la colère sont présentes dans cet exercice hautement émotionnel. Le patient va apprendre qu'il a des besoins affectifs fondamentaux au sens de Young (attachement, autonomie, compétence, sens de l'identité, expression des besoins, spontanéité et jeu, limites et auto-contrôle), car souvent il les ignore ! Techniquement, le patient ferme les yeux et retrouve une imagerie du passé déjà évoquée ; le thérapeute (l'Adulte Sain) demande l'autorisation de rentrer dans l'image et de parler directement à l'enfant vulnérable. Il le tutoie et l'interroge sur ses besoins, se fait son avocat pour parler à l'Adulte Dysfonctionnel. Ensuite, l'Enfant Vulnérable est invité à parler directement à l'Adulte Dysfonctionnel. Enfin, l'Adulte Sain du patient, issu du thérapeute par modelling, est invité à reparenter l'Enfant Vulnérable, à le réconforter. Ce reparentage présente des similitudes avec la technique de rescripting de M.R. Smucker, présentée à l'ASPCO il y a quelques années. Ceux qui ont eu le plaisir d'entendre Ueli Kraemer en février dernier à l'ASPCO (psychothérapie centrée sur les émotions) verront aussi quelques points communs dans les deux approches.

Au cours de l'après-midi, B. Pascal s'est proposé d'illustrer sa pratique du reparentage avec une volontaire issue de l'assemblée, dans un exercice de 50 mn que l'on peut difficilement qualifier de jeu de rôle au vu des soucis très personnels amenés par cette participante et de l'attitude thérapeutique de B. Pascal.

Dans un deuxième temps, tous les participants ont été invités à travailler en binômes. Sans doute mal à l'aise à l'issue du premier exercice, j'ai choisi de rester avec deux collègues que j'affectionne et que je sais compétentes et attentives. Nous nous sommes isolées. J'ai proposé de jouer « le patient » et d'en rester à la technique présentée le matin : l'imagerie diagnostique. J'avais en effet en tête une anecdote qui m'avait beaucoup émotionnée quelques mois plus tôt. Une des collègues a joué le rôle du thérapeute, l'autre a observé. Le récit s'est fait, les yeux fermés, sans difficultés particulières. Les choses se sont corsées lorsque l'on m'a demandé de me centrer sur mes sensations physiques. Au moment de partir à la recherche d'une image du passé, je me suis apprêtée à raconter un souvenir ancien quand j'ai vu surgir tout à coup dans mon esprit le regard dur et froid de ma mère devant mes bêtises d'enfant ! (Cela doit bien faire... au moins 30 ans qu'elle ne m'a pas regardée comme ça ?). Le raz-de-marée émotionnel qui s'en est suivi m'a obligée à stopper l'exercice. Un peu calmée, j'ai expliqué une partie de ce que j'ai pu comprendre : l'anecdote récente avait activé un sentiment de culpabilité bien familier de mon enfance. Mes collèges ont compris je crois à quel genre de schéma et de modes tout cela pouvait faire référence... Nous n'avons pas développé plus, car cet atelier, qui n'était pas annoncé comme un atelier expérientiel, ne nous semblait pas être, à l'unanimité, le cadre dans lequel nous aurions souhaité nous exposer davantage.

J'ai été stupéfaite de voir, en situation, comment des séquences du passé peuvent être engrangées avec autant de vivacité, pour des événements qu'on ne qualifierait sans doute pas de traumatiques... Nos schémas précoces et nos modes sont décidément bien implantés ; de toute évidence il est facile de se contenter de quelques aménagements pour vivre avec si on ne souffre pas d'un trouble BL. Mais le voyage vers le passé est intéressant, et je ne doute pas qu'une thérapie des schémas serait profitable pour bien des gens... Et je m'inclus dans le lot...

Les lecteurs curieux d'en savoir plus pourront se référer au récent ouvrage de Bernard PASCAL, La thérapie des schémas, principes et outils pratiques, chez Masson (2015). Je l'ai commandé...

Fait par Martine DUBOSSON


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